Corinne TALOTTE est directrice Innovation TER chez SNCF Voyageurs. Au quotidien, son équipe conçoit, développe et expérimente des solutions innovantes pour relever les défis actuels et futurs du transport ferroviaire de personnes : soutenir la demande croissante de mobilité des voyageurs, relancer les lignes de desserte fine du territoire ou encore, accompagner la transition énergétique du matériel roulant.
Dans son interview, Corinne nous présente quelques projets d’innovation récemment déployés sur le réseau TER. 👇
Corinne TALOTTE
Directrice Innovation TER
chez SNCF Voyageurs
Pouvez-vous nous expliquer les axes principaux de la stratégie d’innovation pour TER et comment ils s’intègrent dans la vision globale de SNCF Voyageurs ?
Notre stratégie d’innovation repose sur trois axes majeurs :
- L’innovation comme marqueur de TER. Elle nous permet de nous réinventer tout au long des contrats et de développer des offres sur mesure pour accompagner nos autorités organisatrices « AO », de répondre précisément aux besoins de mobilité de nos 1,3 millions de voyageurs quotidiens, contribuant ainsi au report modal et à la décarbonation.
- L’innovation au cœur des métiers. Notre approche vise des ruptures en termes de coûts, de performance, de fiabilité, d’impact écologique et de service au client. L’innovation nous permet d’intégrer plus rapidement les nouvelles technologies tout en tenant compte des usages et des évolutions sociétales.
- L’innovation comme vecteur d’engagement et de fierté. Nous adoptons une démarche d’innovation collaborative avec nos agents qui a fait ses preuves et qui nous permet de nous appuyer sur les idées issues du terrain, renforçant l’engagement et la fierté de nos équipes.
Le ferroviaire s’inscrit dans une perspective de long terme, mais l’innovation nous permet d’aborder des enjeux à court et moyen termes dans une logique d’expérimentation, tout en préparant l’avenir sur 3 à 5 ans avec nos partenaires dans les territoires.
Quels sont les projets d’innovation TER récents les plus marquants, et quels résultats concrets ont-ils déjà produits ou sont attendus ?
Le premier exemple concret est l’introduction du premier train régional hybride, en service depuis le début de l’année. Ce train parcourt les lignes des régions partenaires Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Grand-Est et Centre Val de Loire afin d’évaluer ses performances. Il s’agit d’un modèle hybride tri-mode (électrique-thermique-batteries) qui permet de réduire la consommation d’énergie et les émissions de CO2 de 20%. Ce dispositif va être complété par l’utilisation de biocarburants, déjà en service en région Normandie, ce qui contribuera davantage à diminuer les émissions de CO2. Les prochains développements incluront les TER 100% batteries et les trains à hydrogène, dont les premiers de série sont en phase de test technique.
En deuxième illustration, nous avons développé JustGo en Nouvelle-Aquitaine pour simplifier l’expérience de nos voyageurs. Ce service permet de voyager en toute liberté et de payer le meilleur prix en fonction du nombre de trajets effectués. Le concept est simple : montez, voyagez, payez. Ce type de service favorise et encourage la mobilité décarbonée.
Enfin, nous testons actuellement le « nudge » dans deux régions, la Bretagne et le Sud. Face à une forte augmentation de la fréquentation, nous cherchons à mieux répartir les voyageurs à l’intérieur des trains. Nous avons conçu et installé des visuels dans des rames pour inciter les voyageurs à monter à l’étage et à libérer les plateformes et les sièges occupés par des bagages ou des effets personnels. Le nudge est une méthode douce, basée sur les sciences comportementales, qui illustre une logique d’innovation par l’expérimentation sur le terrain.
Comment utilisez-vous les nouvelles technologies, telles que l’intelligence artificielle et les solutions de Big Data, pour améliorer l’expérience des voyageurs et l’efficacité opérationnelle ?
Les usages de l’IA pour un opérateur ferroviaire sont extrêmement variés. Elle peut améliorer l’information des voyageurs en l’adaptant au contexte en temps réel et réduire les aléas dans la mise en œuvre du plan de transport, notamment grâce à la maintenance prédictive. De plus, l’IA permet d’ajuster la composition des trains en fonction des prévisions de fréquentation. Nous pouvons également prédire les risques de défaut d’adhérence et anticiper les problèmes liés aux feuilles mortes en utilisant des données météorologiques à très court terme et très locales, ainsi que la connaissance du stress hydrique des arbres sur plusieurs années. Dans ce contexte, le Big Data est un outil essentiel pour rendre ces données disponibles et utilisables par l’IA. En effet, sans données, il n’y a pas d’IA.
Comment collaborez-vous avec des start-ups, des entreprises technologiques et d’autres partenaires pour stimuler l’innovation ? Comment impliquez-vous les voyageurs des TER dans le processus d’innovation ?
Les démarches d’innovation que nous menons sur une période de 12-18 mois visent à tester rapidement les solutions sur le terrain pour évaluer à la fois les incertitudes technologiques et leur adéquation avec le marché.
Nous collaborons avec des PME et des start-ups pour monter en maturité avec des solutions simples avant de passer à une échelle plus grande. Nous faisons aussi appel à des panels de voyageurs dans le processus ; par exemple, la solution JustGo a été co-construite avec des voyageurs testeurs tout au long de l’expérimentation avec des sondages, des rencontres en gare et à bord des trains ainsi qu’une hotline dédiée.
Pour les projets à 3-5 ans, qui impliquent des transformations industrielles plus conséquentes, nous nous entourons de partenaires du secteur ferroviaire mais aussi d’autres industries pour explorer des solutions en rupture. Et nous collaborons le plus possible avec des partenaires, des écoles et des universités régionales pour leur proposer des cas d’usages sur la mobilité. Ces partenariats enrichissent à la fois l’expérience des étudiants et la nôtre, nous permettant de nous projeter vers les usages de demain.
Quels défis anticipez-vous dans les prochaines années pour le secteur ferroviaire régional, et comment l’innovation peut-elle aider à relever ces défis ?
Notre défi est de poursuivre l’accompagnement de la croissance du ferroviaire, qui a augmenté de +21% en 2023 par rapport à 2019, et cette croissance se poursuit. Il existe une véritable demande pour le train, tant pour les déplacements quotidiens que pour le développement du tourisme. Nous devons donc développer des solutions qui répondent au mieux aux attentes des territoires. C’est l’objectif des travaux d’innovation que nous menons pour développer des offres adaptées tant aux zones peu denses qu’aux SERM (Services Express Régionaux Métropolitains).
Le second défi est de développer des solutions soutenables pour nos autorités organisatrices (AO) offrant des services « sur mesure » tout en adoptant un modèle économique « prêt à porter ».
Qu’attendez-vous de la participation de SNCF Voyageurs à un salon européen sur la mobilité comme le nôtre ?
EuMo Expo est une opportunité pour SNCF Voyageurs de présenter ses dernières innovations aux autorités organisatrices et aux visiteurs. Nous y dévoilerons notamment nos prototypes de solutions pour les lignes de desserte fine du territoire. Cet événement nous permet également de rencontrer des industriels, des PME, pour s’inspirer, pour mesurer la maturité des technologies et imaginer de nouvelles solutions ensemble.
Depuis 2021, Corinne TALOTTE occupe le poste de directrice Innovation TER chez SNCF Voyageurs. Sa mission est de favoriser l’innovation et la différenciation dans les réponses aux appels d’offres. Corinne est titulaire d’un doctorat en Mécanique des Fluides de l’École Centrale de Nantes et a rejoint la SNCF en 1995 en tant que chef de projet en aérodynamique et acoustique pour le matériel roulant et les gares. En 2009, elle devient manager d’équipes pluridisciplinaires (ingénieurs, designers et data scientists). Elle a initié le programme TECH4RAIL au sein de l’Innovation & Recherche du Groupe SNCF et l’a piloté de 2015 à 2020, avec à son actif trois projets majeurs de décarbonation du matériel ferroviaire. Par ailleurs, Corinne a établi des partenariats stratégiques français et européens et développe le réseau SYNAPSES, regroupant 500 experts de la SNCF.